ELOGE DE MAHE DE LA BOURDONNAIS EN 1859

JAMES MILL.
(The History of British India-London, 1858, Vol. III, p. 39 et seq…)

En 1735, La Bourdonnais fut nommé gouverneur des Iles. C’était un homme remarquable… Ses connaissances et ses capacités le désignèrent au gouvernement français comme l’homme ayant toutes les qualités voulues pour relever les colonies des mers orientales de l’état de dépression dans lequel elles se trouvaient. En 1734 il fûtnommé gouverneur-général des Iles de France et de Bourbon où il arriva en Juin1735. On avait si peu fait pour améliorer ces îles, que les habitants qui étaient en très petit nombre vivaient presque à l’état de nature.

Ils étaient pauvres et n’avaient aucune industrie, et ignoraient presque tous les arts utiles. Ils n’avaient ni magasins, ni hôpital, ni fortifications, ni force défensive militaire ou navale. Ils n’avaient ni routes, ni bêtes de somme, ni véhicules: La Bourdonnais avait tout à faire, et il pouvait tout faire. Capable d’exécuter aussi bien que de concevoir, il était à même de construire un vaisseau depuis la quille. Il remplit les fonctions d’ingénieur, d’architecte et d’agriculteur: il dompta des bœufs, construisit des véhicules, ouvrit des chemins: il mit des noirs en apprentissage sous les quelques artisans qu’il avait emmenés avec lui : il persuada aux habitants de cultiver leurs terres; et introduisit la canne à sucre et l’indigo: il fit fleurir l’industrie et les arts utiles; luttant contre l’ignorance, les préjugés et cette habitude de paresse invétérée chez ceux avec lesquels il se trouvait et qui à chaque pas lui faisaient de l’opposition. Pour mettre un peu d’ordre et de vigilance dans la direction même de l’hôpital qu’il avait construit, il lui fallut remplir les fonctions de surintendant, et chaque matin pendant toute une année il visita régulièrement cet hôpital.

La justice, administrée par les Conseils auxquels ces fonctions appartenaient régulièrement, l’avait été d’une façon telle qu’elle avait donné lieu à de grands mécontentements. Pendant les douze années que La Bourdonnais fut gouverneur il n’y eut qu’un seul procès à l’île de France, il avait lui-même réglé, par arbitrage, tous les différends…

C’est en vertu d’un article exprès des ordres qu’il avait reçus de la métropole que La Bourdonnais consentit à rendre Madras. Mais rien ne pouvait être plus contraire aux vues de Dupleix. Il conseilla, supplia, menaça, protesta; La Bourdonnais, néanmoins continua à remplir avec fermeté les engagements qu’il avait contractés. Non seulement Dupleix refusa toute assistance pour accélérer le transport des marchandises et pour permettre aux navires de quitter Madras avant les ouragans qu’accompagne généralement le changement de mousson, mais encore il souleva toutes les difficultés possibles, et alla même jusqu’à fomenter la sédition parmi les hommes de La Bourdonnais, dans l’espoir de le voir arrêté et conduit à Pondichéry. Dans la nuit du 13 Octobre, une tempête s’éleva et força les navires à prendre le large. Deux furent perdus; et l’un des deux en outre ne sauva que quatorze hommes de son équipage. Un autre fut entraîné si loin dans le sud qu’il ne lui fut pas possible de regagner la côte; tous perdirent leurs mats et éprouvèrent de grandes avaries. Sourd aux plus pressantes demandes de secours, Dupleix maintint son opposition. A la fin, on suggéra la modification des articles du traité de rançon de façon à donner aux Français le temps d’enlever les marchandises. La Bourdonnais et les Anglais acceptèrent, quoique avecrépugnance, que le temps fixé pour l’évacuation de la ville fut changée du 15 Octobre au 15 Janvier’. C’était tout ce q1:e désirait Dupleix…

Il se hâta de partir pour l’Europe pour se défendre des accusations de ses ennemis ou pour y répondre ; il prit passage à bord d’un navire hollandais. En raison de la déclaration de guerre le bateau fut forcé de se réfugier dans un portanglais. La Bourdonnais fut reconnu et fait prisonnier; mais on connaissait sa conduite à Madras et on s’en souvint. Toutes les classes de la société le reçurent avec honneur et distinction. Pour éviter sa détention, un directeur de la Compagnie des Indes Orientales offrit de le cautionner de sa personne et de ses biens. Le gouvernement, avec la même magnanimité, refusa l’offre, ne voulant d’autre caution que la parole de La Bourdonnais. On le traita différemment en France. Les représentations de Dupleix étaient arrivées: un frère de Dupleix était directeur de la Compagnie des Indes Orientales; Dupleix n’avait fait que violer un traité solennel; La Bourdonnais n’avait fait que servir son pays avec fidélité et gloire- et il fût jeté à la Bastille…