À bord d’un vaisseau de la Compagnie des Indes en route vers l’Inde

Les écrits de M.L.F Martin, jeune homme de 20 ans, engagé comme commis de la Compagnie Française des Indes orientales, sont intéressants. Il fait preuve de finesse d’esprit et d’observation de la vie à bord et plus tard de la colonie européenne et de la société indienne. Nous publierons plusieurs articles composés d’extraits du texte intégral qui a été édité dans un livre par M.Henry Renauldon en vente au prix de 15 € au musée de la Compagnie des indes à Port- Louis (56 ). Nous le remercions de son autorisation.

C’est le premier novembre 1750 que le vaisseau de la Compagnie Les treize cantons , capitaine Bouvet, sur le quel je suis parti pour l’Inde, appareilla de Lorient à trois heures après-midi.

L’équipage du vaisseau était notamment composé par : Monsieur Bouvet premier lieutenant de vaisseau, faisant fonction de capitaine, Monsieur Winston, deuxième lieutenant faisant fonction de premier lieutenant, Monsieur la Bretonnière, enseigne faisant fonction de deuxième lieutenant, Messieurs Fouché et Ribail enseignes, un aumônier , un écrivain nommé Rouvière, un chirurgien major nommé Le Roi , deux passagers : le chevalier de Roburens et moi .

(L’auteur omet les matelots et les mariniers. NDLR)

(…) Nos officiers étaient comme je l’ ai déjà observé bien nés. On s’ apercevaient qu’ils avaient reçu de l’éducation. Je ne doute pas qu’ils en fissent un bon usage à terre , mais l’ autorité dont ils jouissaient dans le vaisseau et le commandement dont ils étaient revêtus chacun à leur tour pendant la journée , l’ obligation où ce commandement les mettaient quelques fois de parler durement aux matelots qui ne faisaient pas leur devoir les accoutumait à un ton de rudesse et de brusquerie contre lequel ils ne se mettaient pas assez en garde même en parlant à d’ autres qu’à des matelots. 

Mon lit était placé dans la Grande chambre. Le vaisseau n’était ni assez grand ni coupé de manière à pouvoir avoir une chambre du conseil au moyen de quoi la chambre du capitaine y avait son entrée .

(…) La grand chambre est le lieu où se rassemble les officiers et les passagers dans le temps où la place sur le tillac n’est pas tenable , soient dans des temps de pluie ou de grand vent. C’est un lieu où règne une grande licence et où se tiennent toutes sortes de propos, mais la situation de la chambre du capitaine lui donnant une vue sur cette grand chambre parce que sa porte en était toujours ouverte, obligea à un peu plus de retenue tous ceux qui la fréquentaient et je ne fus incommodé ni du bruit ni des discours que j’y aurais entendu plus souvent sans cela. Je dis plus souvent parce que le capitaine n’ étant pas toujours dans la  chambre, la liberté de tout faire reprenait pour lors ses droits. J’avais une petite malle  au chevet de mon lit pour les chose d’usage journalier. Il était nuit. Je continuai à éprouver des nausées qui n’ étaient pas suivies de vomissements que parce que il n’ y avait plus rien dans mon estomac. Comme il faisait froid plusieurs de ce ceux qui composaient l’état-major se rendirent dans la grand chambre en attendant l’heure du souper et il fallut essuyer de mauvaises plaisanteries sur l’ état où je me trouvais. L’odeur du goudron dont les vaisseaux partant sont tout nouvellement couvert tant à l’intérieur qu’à l’extérieur me paraissait bien désagréable.

Cette odeur, les craquements continuels que faisaient les cloisons dans l’ intérieur du vaisseau, le bruit de la mer le long du vaisseau qui augmentait à mesure que nous avancions en pleine mer, celui du vent dans les voiles et celui de la manœuvre il y en avait à faire et au moins autant que cela les discours et les mouvements de ceux qui étaient dans  la grand  chambre m’ empêchèrent de prendre du repos. (…)

J’ai oublié jusqu’ à présent de parler d’une avance de 400 livres sur mes appointements que mon oncle me fit faire par la Compagnie pour l’ employer en pacotille et me procurer quelques bénéfices à mon arrivée dans l’Inde. On me conseilla d’ en employer la plus grande partie en chapeaux fins et je me rappelle que je les vendis à l’Isle de France avec beaucoup d’avantages. (…)

Notre capitaine était très habile dans l’art de manier les outils en bois et en fer, il avait à bord tous ceux dont il pouvait de servir. Il s’ appliquait particulièrement à la construction de petits vaisseaux qu’il faisait dans toutes les règles de l’art et les proportions qu’il connaissait très bien .Sa science ne se bornait pas à la construction du  corps d’ un vaisseau. Il en faisait lui même toutes les dépendances, il n’y avait pas dans les  petits vaisseaux qu’il construisait une seule pièce qu’ il ne fit lui même soit dans les cordages soit dans les voiles soit dans les machines nécessaires à son gréement. Le plaisir de le voir travailler et le plaisir encore plus grand qu’il me causait par  la bonté avec laquelle il m’expliquait une quantité de choses relatives à la construction et au gréement d’un vaisseau ont été pendant ma traversée de Lorient à l’Isle de France un de mes grands amusements.

Le désir d’arriver engage, dis-je, tous ceux qui ne font pas seulement leur point à y mettre autant d’ intérêt que ceux qui e font, à s’informer de la quantité de que le vaisseau fait et à quel endroit de la carte on estime qu’ il se trouve, et cela occupe le moment  presque immédiat de l’après dîner parce que c’est à midi précis qu’ on peut prendre hauteur, c’est à dire connaître par le soleil le degrés de latitude où le vaisseau se trouve et qu’ on dîne immédiatement après ou qu’on dînait dans le vaisseau.

L’équipage fait le point et mesure la vitesse avec le loch et le sablier

 

 

 

 

 

 

 

Une des choses qui occupent le plus l’esprit à bord du vaisseau est l’ espérance d’ arriver d’abord aux relâches ensuite au lieu de destination du vaisseau. C’est l’objet de tous les vœux. On ne souhaite des vents favorables que pour n’ être pas dans le cas de s’écarter de la route qu’on a à faire et on ne le souhaite assez forts que pour parler un langage marin  assez frais que pour arriver plus tôt aussi ne redoute-t-on rien tant que le calme, et en effet rien n’ est plus ennuyeux qu’ un calme plat mais encore n’ est plus dangereux : les vivres et l’ eau se consomment en pure perte ,chaque heure de calme est une heure perdue et on en a quelques fois plusieurs jours de suite au point de ne faire que vingt lieues en trois jours. Les calmes qu’on éprouve n’existent que dans l’air. La mer dont la superficie est comme de l’ huile est cependant agitée par des vagues ou des lames quelques fois très très fortes provenant de vents forcés qui ont pu avoir lieu à une très grande distance ou le jour précédent au même lieu. Le vaisseau n’ étant pas pour lors appuyé par le vent est le jouet des lames et il leur obéit dans tous les sens parce que, dans un calme  plat, le vaisseau ne gouverne pas, c’est à dire que le gouvernail n’a pas son effet ordinaire. Ainsi on éprouve le tangage et le roulis sans pouvoir s’en garantir, ce qui joint à l’ennui de ne pas avancer cause le désagrément le plus complet qu’ on puisse éprouver en mer. (…)

Après le désir d’arriver à destination ou à quelques relâches, celui d’ avoir connaissance de quelques terres occupe beaucoup. Le véritable objet du marin est d’avoir par là le moyen de corriger son point, celui des passagers est de voir la terre, cet élément pour lequel ils ont été créés, quoi qu’ on ne doive pas y mettre le pied, cette vue recrée un sentiment qu’il n’est pas facile d’ attribuer à ceux qui n’ont pas passé un mois entre le ciel et l’eau.

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Les photographies ont été prises par le webmaster au
Musée de la Compagnie des Indes,
Citadelle de Port Louis
Avenue du Fort de l’aigle,
56290 Port Louis
 
tel: 02  97 82 19 13